Yaoundé, 13 juillet 2025 – La scène est à la fois saisissante et symptomatique du climat politique camerounais. Une délégation de jeunes, se réclamant d’un vaste mouvement citoyen en faveur de la continuité politique, s’est rendue au Palais de l’Unité pour remettre officiellement une caution présidentielle de 30 millions de FCFA, complétée de 10 millions de FCFA comme “effort de campagne”, pour soutenir une nouvelle candidature de Paul Biya, âgé de 91 ans, à la magistrature suprême du Cameroun.
Face à cette initiative pour le moins atypique dans une démocratie moderne, le Ministre d’État, Secrétaire Général de la Présidence de la République, Ferdinand NGOH NGOH, a prononcé un discours aussi symbolique que révélateur. Nous vous en livrons ici l’intégralité, suivie d’une analyse politique du message porté par cet acte et ses implications.
Discours intégral de Ferdinand NGOH NGOH :
“Mes chers jeunes compatriotes,
Je vous adresse mes vives félicitations et une reconnaissance sincère pour cette initiative forte et responsable. Vous venez, à travers votre acte, d’exprimer non seulement votre foi en l’avenir, mais aussi votre fidélité à un homme, un leader, un symbole de stabilité et de paix pour notre nation : Son Excellence Paul BIYA.
Le Président de la République a toujours placé la jeunesse au cœur de son projet politique. Il vous a fait confiance, vous a donné des responsabilités, et vous a toujours considérés comme des partenaires incontournables dans la construction du Cameroun que nous voulons : uni, prospère et pacifique.
Le geste que vous posez aujourd’hui est éloquent. En réunissant cette somme, issue de vos efforts propres, vous démontrez que la jeunesse camerounaise n’est pas spectatrice de son destin, mais bien actrice du changement qu’elle souhaite voir perdurer. Vous ne vous contentez pas de réclamer ou de dénoncer : vous agissez, vous proposez, vous vous engagez.
Je transmettrai fidèlement à Son Excellence le Président de la République, votre message, votre soutien, et cette caution qui marque votre volonté de le voir poursuivre son œuvre pour le Cameroun.
Recevez, au nom du Chef de l’État, ses encouragements renouvelés, sa considération et son engagement constant pour la jeunesse camerounaise.”
Analyse politique : Un soutien générationnel ou un syndrome de dévotion nationale ?
L’initiative peut faire sourire, surprendre, voire inquiéter certains analystes, mais elle mérite une lecture plus approfondie du contexte politique et sociologique camerounais.
- Une “jeunesse” encadrée ou spontanée ?
Le premier niveau de lecture interroge sur l’identité réelle de ces jeunes. S’agit-il d’une mobilisation spontanée et sincère ou d’une stratégie savamment orchestrée par les structures du parti au pouvoir, le RDPC ? Au Cameroun, les organisations de jeunesse sont souvent très proches, sinon instrumentalisées, par les cercles du pouvoir. Le ton du discours et la mise en scène autour de la remise de cette somme renforcent cette hypothèse.
- Une candidature Biya en 2025 : fiction ou répétition ?
Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, totalise 43 années à la tête du Cameroun. Il fêtera ses 92 ans quelques mois après l’élection présidentielle prévue pour octobre 2025. Sa longévité fait de lui l’un des chefs d’État les plus âgés et les plus anciens du monde. Alors que plusieurs voix internes et internationales appellent à un renouvellement générationnel, cette initiative vient brouiller les pistes : s’achemine-t-on vers un nouveau bail présidentiel pour le nonagénaire, ou s’agit-il d’une simple démonstration de loyauté politique dans une période d’incertitude ?
- Le coût politique d’un tel geste : générosité ou instrumentalisation ?
Sur le fond, la mobilisation de 40 millions de FCFA par des jeunes questionne. D’où vient cet argent ? Quelle est sa provenance réelle ? À l’heure où une bonne partie de la jeunesse camerounaise fait face au chômage, à l’exil, à la précarité économique, cette levée de fonds pourrait susciter le scepticisme, voire la colère silencieuse de ceux qui se sentent éloignés de la sphère dirigeante.
- Une stratégie de continuité et de verrouillage ?
En recevant officiellement cette caution, la Présidence ne se contente pas de remercier : elle entérine et institutionnalise un mouvement de soutien qui pourrait servir d’amorce à une candidature officielle. Ce geste pourrait aussi viser à tester la réaction de l’opinion publique et des partenaires internationaux face à l’hypothèse d’un septième mandat.
Biya 2025, une option désormais sur la table ?
Cette opération de “jeunesse solidaire” pour le président de 91 ans relance, avec une touche presque surréaliste, le débat sur la succession politique au Cameroun. Alors que le pays fait face à de nombreux défis – sécuritaires dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, économiques dans tout le pays – cette volonté de maintenir le statu quo interpelle.
Une chose est sûre : à 91 ans, Paul Biya reste au centre du jeu politique, et tout porte à croire qu’il pourrait bien… y rester encore. Avec ou sans les 40 millions de la jeunesse.