[Enquête] Femme célibataire avec enfant au Bénin : une réalité de plus en plus courante

Au cœur de la société béninoise traditionnellement structurée autour du mariage et de la famille élargie, un phénomène social prend de l’ampleur : celui des femmes célibataires avec enfants. Cette réalité, autrefois marginale et fortement stigmatisée, devient progressivement visible dans les zones urbaines comme rurales. Des quartiers populaires de Cotonou aux villages reculés de l’Atacora, ces mères célibataires constituent désormais une part significative des ménages béninois.

Selon les dernières estimations démographiques, près de 20% des foyers béninois seraient aujourd’hui dirigés par une femme seule, dont une majorité avec des enfants à charge. Ce chiffre, en constante augmentation depuis deux décennies, illustre un changement profond dans la structure familiale traditionnelle. La présente analyse vise à explorer les multiples facettes de ce phénomène sociétal, à comprendre ses causes profondes et à proposer des pistes de réflexion pour un meilleur accompagnement de ces femmes et de leurs enfants.

I. État des lieux : une réalité multiforme

A. Profil des mères célibataires au Bénin

Les mères célibataires au Bénin ne constituent pas un groupe homogène. Leurs parcours, situations et défis varient considérablement selon plusieurs facteurs :

1. Diversité des situations matrimoniales :
   • Femmes n’ayant jamais été mariées
   • Veuves précoces
   • Femmes séparées ou divorcées
   • Deuxièmes ou troisièmes épouses abandonnées dans les mariages polygames
   • Femmes en union libre dont le partenaire est parti
2. Répartition géographique : Le phénomène, autrefois principalement urbain, s’étend désormais aux zones rurales. À Cotonou et Porto-Novo, on observe une plus grande visibilité et acceptation sociale, tandis que dans les villages, la stigmatisation reste forte malgré l’augmentation des cas.
3. Diversité socio-économique : Contrairement aux idées reçues, le phénomène touche toutes les classes sociales :
   • Femmes instruites occupant des postes professionnels
   • Commerçantes et entrepreneures du secteur informel
   • Femmes en situation de grande précarité

B. Témoignages et réalités quotidiennes

Adeline, 32 ans, vendeuse au marché Dantokpa à Cotonou : “Quand mon mari est parti travailler au Nigeria il y a cinq ans, il envoyait régulièrement de l’argent. Puis les transferts sont devenus rares, avant de s’arrêter complètement. J’ai appris plus tard qu’il avait fondé une nouvelle famille là-bas. Je me retrouve seule avec mes trois enfants, jonglant entre mon commerce de pagnes et leur éducation.”

Françoise, 28 ans, institutrice à Pahou : “Après mes études, j’ai eu une relation avec un collègue qui m’a quittée quand j’étais enceinte de quatre mois. Sa famille a refusé de reconnaître l’enfant, prétextant que je cherchais à ‘piéger’ leur fils. Aujourd’hui, je m’en sors grâce à mon salaire, mais chaque jour est un défi pour concilier mon métier et mon rôle de mère.”

Honorine, 40 ans, agricultrice dans un village de Toffo : “Veuve depuis sept ans, avec quatre enfants à nourrir, j’ai dû reprendre l’exploitation agricole de mon défunt mari. Les anciens du village m’ont d’abord mise à l’écart, puis certains ont voulu m’imposer un lévirat avec le frère de mon mari. J’ai refusé et depuis, je dois me battre deux fois plus pour prouver ma valeur et nourrir ma famille.”

Ces témoignages illustrent la diversité des parcours et des défis quotidiens auxquels font face ces femmes, entre précarité économique, marginalisation sociale et charge mentale accrue.

II. Les causes d’un phénomène en expansion

L’augmentation du nombre de mères célibataires au Bénin résulte d’une conjonction de facteurs sociaux, économiques et culturels qui s’entremêlent et se renforcent mutuellement.

A. Facteurs socioculturels

1. Transformation des structures familiales traditionnelles : Le modèle de la famille élargie, où plusieurs générations cohabitaient sous un même toit, s’érode progressivement au profit de structures nucléaires plus indépendantes mais aussi plus fragiles.
2. Évolution des rapports de genre : L’émancipation progressive des femmes, leur accès à l’éducation et à l’emploi modifient les dynamiques relationnelles. Certaines femmes revendiquent désormais le droit de vivre leur maternité hors du cadre marital traditionnel.
3. Affaiblissement des mécanismes traditionnels de régulation sociale : Les autorités coutumières et religieuses, qui jouaient autrefois un rôle central dans la prévention des séparations et la protection des femmes abandonnées, perdent progressivement leur influence.
4. Persistance des grossesses précoces : Malgré les campagnes de sensibilisation, le taux de grossesses adolescentes reste élevé dans certaines régions du Bénin. Ces jeunes mères, souvent rejetées par leur famille ou abandonnées par leur partenaire, viennent grossir les rangs des femmes célibataires avec enfants.

B. Facteurs économiques

1. Migration masculine : L’exode rural et l’émigration internationale touchent principalement les hommes en âge de travailler. Partis chercher fortune en ville ou à l’étranger (Nigeria, Côte d’Ivoire, Europe), beaucoup rompent progressivement les liens avec leur famille restée au pays.
2. Précarité économique : Les difficultés financières fragilisent les couples. Face aux responsabilités, certains hommes choisissent de fuir, laissant femme et enfants se débrouiller seuls.
3. Indépendance économique croissante des femmes : Paradoxalement, l’accès des femmes à des ressources autonomes à travers le petit commerce, l’agriculture ou l’emploi formel leur permet d’envisager de vivre sans soutien masculin, même si cette indépendance reste souvent précaire.

C. Facteurs juridiques et institutionnels

1. Faiblesse du cadre juridique : Le déficit d’application des lois protégeant les droits des femmes et des enfants favorise l’irresponsabilité paternelle. L’abandon de famille est rarement sanctionné.
2. Complexité des procédures de reconnaissance de paternité : Les démarches juridiques pour établir la filiation et obtenir une pension alimentaire sont longues, coûteuses et souvent infructueuses.
3. Inefficacité des mécanismes d’accompagnement social : Les services sociaux, sous-financés et sous-équipés, peinent à soutenir efficacement les mères célibataires en difficulté.

III. Impacts et conséquences sociales

Les répercussions de ce phénomène s’observent à plusieurs niveaux, affectant tant les femmes concernées et leurs enfants que la société béninoise dans son ensemble.

A. Conséquences sur les femmes

1. Précarisation économique : Devant assumer seules les charges familiales, ces femmes sont particulièrement vulnérables à la pauvreté. Beaucoup vivent dans une précarité chronique, enchaînant les petits emplois informels.
2. Stigmatisation sociale : Malgré l’évolution des mentalités, les mères célibataires sont encore souvent considérées comme des femmes “de mauvaise vie” ou “malchanceuses”. Cette stigmatisation se traduit par une exclusion de certaines cérémonies traditionnelles ou religieuses et par des difficultés accrues dans les relations sociales.
3. Impact psychologique : Le stress, l’anxiété et la dépression touchent fréquemment ces femmes confrontées à la double charge de travail et à l’isolement social.
4. Vulnérabilité aux abus : Sans protection familiale traditionnelle, certaines mères célibataires deviennent des proies faciles pour diverses formes d’exploitation, notamment sexuelle.

B. Conséquences sur les enfants

1. Déficit d’encadrement parental : Accaparées par la recherche de ressources économiques, de nombreuses mères célibataires disposent de peu de temps pour suivre l’éducation de leurs enfants.
2. Impacts psychoaffectifs : L’absence de figure paternelle peut générer des carences affectives et des questionnements identitaires chez certains enfants, particulièrement à l’adolescence.
3. Déscolarisation et travail précoce : Les difficultés financières conduisent parfois à la déscolarisation des enfants, notamment des filles, pour les faire participer aux tâches domestiques ou à des activités génératrices de revenus.
4. Reproduction du schéma familial : Les études montrent que les enfants de mères célibataires, particulièrement les filles, risquent davantage de reproduire ce modèle familial à l’âge adulte, créant un cycle intergénérationnel.

C. Impacts sociétaux

1. Redéfinition des modèles familiaux : L’augmentation du nombre de familles monoparentales contribue à diversifier les modèles familiaux de référence dans la société béninoise.
2. Féminisation de la pauvreté : La concentration de la précarité économique chez les femmes seules avec enfants contribue à la féminisation globale de la pauvreté au Bénin.
3. Émergence de nouvelles solidarités : Face aux défis, des réseaux d’entraide entre mères célibataires se développent dans certaines localités, créant de nouvelles formes de solidarité communautaire.

IV. Réponses et perspectives d’action

Face à l’ampleur croissante du phénomène, différentes initiatives émergent pour accompagner les mères célibataires et tenter d’endiguer les causes du problème.

A. Actions associatives et communautaires

1. Associations de soutien aux mères célibataires : Des organisations comme “Femmes Solidaires du Bénin” ou “L’Association des Mères Courage” à Cotonou proposent un accompagnement psychosocial, des formations professionnelles et des micro-crédits pour aider ces femmes à développer des activités génératrices de revenus.
2. Systèmes de garde d’enfants communautaires : Dans certains quartiers urbains, des initiatives de garde d’enfants collective permettent aux mères de concilier plus facilement activités professionnelles et parentalité.
3. Tontines et groupes d’épargne féminins : Ces systèmes traditionnels d’épargne rotative s’adaptent pour répondre spécifiquement aux besoins des femmes seules avec enfants, leur facilitant l’accès à des ressources financières en cas d’urgence.

B. Politiques publiques et cadre juridique

1. Renforcement du cadre légal : La mise en application effective du Code des personnes et de la famille, notamment concernant les obligations alimentaires, la reconnaissance de paternité et les procédures de divorce, constitue une priorité.
2. Programmes d’assistance sociale ciblés : Développement de filets de sécurité sociale spécifiquement destinés aux familles monoparentales en situation de vulnérabilité.
3. Politiques éducatives inclusives : Mise en place de bourses scolaires et d’accompagnement éducatif pour les enfants de familles monoparentales afin de prévenir la déscolarisation.
4. Formation et insertion professionnelle : Programmes de qualification professionnelle adaptés aux contraintes des mères célibataires pour faciliter leur accès à des emplois stables et correctement rémunérés.

C. Actions préventives et sensibilisation

1. Éducation sexuelle et reproductive : Intensification des programmes d’éducation à la sexualité responsable et d’accès à la contraception pour réduire les grossesses non désirées, particulièrement chez les adolescentes.
2. Sensibilisation à la responsabilité parentale : Campagnes de sensibilisation visant spécifiquement les hommes pour valoriser leur rôle parental et leurs responsabilités, indépendamment de leur situation conjugale.
3. Médiation familiale : Développement de services de médiation pour prévenir les ruptures familiales et maintenir l’implication des deux parents auprès des enfants après une séparation.
4. Institut National de la Femmes doit non seulement défendre les femmes mais aussi mettre des études en place pour voir comment réduire ce phénomène.

Et enfin

L’augmentation du nombre de femmes célibataires avec enfants au Bénin constitue un défi majeur pour la société, mais aussi une opportunité de redéfinir les contours de la famille béninoise contemporaine. Ce phénomène, reflet de mutations sociales profondes, appelle des réponses nuancées qui dépassent la simple condamnation morale ou la nostalgie d’un ordre familial traditionnel idéalisé.

L’enjeu central réside dans notre capacité collective à construire une société où ces femmes et leurs enfants puissent trouver leur place, non comme des cas sociaux à prendre en charge, mais comme des citoyens à part entière contribuant pleinement au développement du pays. Cela implique d’agir simultanément sur les causes structurelles du phénomène (précarité économique, déséquilibres de genre, insuffisances du cadre juridique) et sur ses conséquences (vulnérabilité des femmes et des enfants concernés).