Les tensions entre la France et le Niger, déjà exacerbées depuis le coup d’État du 26 juillet 2023, atteignent un nouveau sommet. L’arrestation récente d’un Français, accusé d’être un agent de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), alimente des accusations de déstabilisation portées par les autorités nigériennes et enflamme le débat sur l’influence française en Afrique de l’Ouest.
Le contexte d’une mobilisation sous tension
Le 16 novembre 2024, des dizaines de Nigériens ont manifesté dans les rues de Niamey pour dénoncer l’ingérence présumée de « puissances impérialistes ». Le rassemblement, marqué par des slogans anti-français et des appels à la souveraineté nationale, s’inscrit dans une dynamique plus large observée au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) – une coalition informelle regroupant le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Ces pays, tous dirigés par des juntes militaires, dénoncent régulièrement des complots visant à déstabiliser leurs régimes.
Cette mobilisation est survenue après une déclaration commune d’associations civiques exhortant les Nigériens à soutenir leurs Forces de défense et de sécurité (FDS). Selon les organisateurs, ces dernières seraient ciblées par des puissances étrangères cherchant à miner la stabilité du pays. Les similitudes avec les manifestations anti-occidentales au Mali en septembre et au Burkina Faso début novembre illustrent une stratégie commune : consolider l’assise des juntes en stigmatisant des « ennemis extérieurs ».
La DGSE, cible récurrente des accusations
L’élément déclencheur de cette agitation est l’annonce, par Télé Sahel, de l’arrestation le 13 novembre d’un Français accusé d’appartenir à la DGSE. Selon les autorités nigériennes, cet homme aurait pénétré illégalement sur le territoire le 12 novembre avant d’être intercepté par les services de sécurité locaux.
La télévision publique nigérienne a profité de cette arrestation pour dénoncer ce qu’elle qualifie de plans français visant à « déstabiliser le Niger et l’AES ». Parmi les accusations formulées : des opérations de renseignement destinées à armer et former des groupes terroristes. De surcroît, les autorités affirment avoir démasqué d’autres agents de la DGSE opérant sous couverture.
Ces accusations ne sont pas inédites. La DGSE est régulièrement pointée du doigt par les régimes de l’AES, qui voient en elle un instrument de l’« hydre néocoloniale » qu’ils prétendent combattre. Toutefois, la France a toujours démenti toute implication dans des tentatives de déstabilisation, mettant en avant son engagement dans la lutte contre le terrorisme dans la région.
Un contexte de rupture avec la France
L’arrestation de l’agent présumé s’inscrit dans une dégradation plus large des relations entre Niamey et Paris. La suspension des activités de l’ONG française Acted, annoncée le 12 novembre, ainsi que le gel des investissements dans les mines d’uranium par Orano, témoignent d’un divorce progressif. Ces mesures s’ajoutent à l’expulsion de l’ambassadeur français en septembre et au retrait des troupes françaises en octobre.
Pour les manifestants, ces décisions illustrent une volonté affirmée de rompre avec l’influence française et de lutter pour une pleine souveraineté. « La lutte anti-impérialiste est une bataille de longue haleine », a déclaré Mohamed Elkebir Souleymane, l’un des leaders de la manifestation. Il a également défini les objectifs de la junte militaire au pouvoir, avec une vision à « dix ans », laissant entendre que la transition pourrait durer bien plus longtemps que prévu.
La rhétorique anti-impérialiste comme levier politique
Cette mobilisation populaire s’inscrit dans une stratégie politique bien rodée des régimes putschistes de l’AES. En désignant des ennemis extérieurs, comme la France, les juntes cherchent à détourner l’attention des problèmes internes et à justifier la prolongation indéterminée de leurs mandats. Le Burkina Faso, par exemple, a prolongé en mai dernier sa transition de vingt-deux mois à soixante mois sans rencontrer de contestation notable.
Au Niger, cette stratégie trouve un écho particulier dans un contexte de crise économique et sécuritaire. Les accusations de collusion entre la France et des groupes armés alimentent une défiance croissante envers les anciennes puissances coloniales, offrant aux juntes un prétexte pour resserrer leur emprise sur le pouvoir.
Paris et Niamey : un dialogue rompu
Face à cette escalade, la France se trouve dans une position délicate. La multiplication des accusations fragilise davantage ses liens avec une région qui fut autrefois un pilier de sa politique africaine. Si Paris réfute tout rôle déstabilisateur, sa marge de manœuvre est réduite face à des régimes qui considèrent tout dialogue comme une menace à leur survie.
L’arrestation de cet agent présumé marque un tournant dans la relation entre Paris et Niamey. Les prochains jours seront déterminants pour mesurer l’impact de cette affaire sur l’équilibre régional et sur l’avenir des relations franco-africaines.