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« Florent Coua-Zotti décrypte l’Alliance des États du Sahel : l’illusion d’un réveil africain sous autoritarisme militaire »

Par Florent COUA-ZOTTI

Quand ils arrivent au pouvoir, les militaires putschistes sont toujours persuadés qu’ils sont inspirés par Dieu à défaut d’avoir été plébiscités par le suffrage des peuples. Pour eux, les mouvements spontanés ou suscités dans la rue en leur faveur sont des baromètres de leur popularité supposée qui, si elles les confortent dans leurs illusions, ne peuvent jamais représenter une légitimité électorale. C’est au nom de ce principe qu’ils interdisent tout ce qui pourrait les contredire ou les contester : les journalistes, les opposants politiques et les contre-pouvoirs constitutionnels ou de fait.

L’histoire des coups d’État en Afrique et dans le monde a montré, sans qu’on soit obligé d’ergoter là-dessus, les errances et les déconfitures que ce système politique a engendrées, les larmes et les blessures qui en sont issues. La méthode est connue, usée jusqu’à la corde : on bâillonne, on exile, on emprisonne — au nom de la stabilité, bien sûr.

Que l’on ne s’étonne donc guère de ce que deviennent les régimes de l’Alliance des États du Sahel (AES). Tous, sans exception, ont verrouillé leur appareil d’État avec un zèle digne d’une dystopie kafkaïenne. Tous ont mis à la niche les empêcheurs de gouverner en rond : syndicalistes récalcitrants, journalistes encore un brin curieux, militants obstinés des droits humains, penseurs trop pensants.

Mais à qui la faute, dira-t-on ? Peut-être à cette jeunesse, souvent si prompte à tweeter sa colère mais si paresseuse à fouiller les archives. Ceux-là, les moins de trente ans, n’ont pour la plupart jamais connu que la démocratie imparfaite. Ils ignorent — ou feignent d’ignorer — les blessures béantes laissées par les régimes militaires d’hier. Et dans leur besoin viscéral de repères identitaires, ils se jettent dans les bras d’un panafricanisme de pacotille, livré en format TikTok par des télé-prêcheurs en quête d’audience.

Ces nouveaux oracles — Nathalie Yamb, Kemi Séba, Franklin Nyamsi, et leurs clones en série — ont troqué le débat d’idées pour le show idéologique. En retour, les juntes leur offrent scène, micro et cachets. Ils deviennent alors les chantres d’un « réveil africain » à l’odeur d’encens frelaté, débitant sur toutes les tribunes des tirades enflammées sur le néocolonialisme, pendant que les populations, elles, peinent à remplir leurs marmites.

On convoque donc ces prophètes de foire dans les capitales sous tension — Ouaga, Bamako, Niamey — pour qu’ils détournent l’attention des véritables urgences : le terrorisme rampant, l’exode rural galopant, la misère rampante. L’URSS, en son temps, n’avait pas trouvé mieux : offrir du rêve idéologique à défaut de pain quotidien.

Et pourtant, les régimes de l’AES ont cru bon de se fédérer — posture noble, intention louable — en une alliance de « solidarité stratégique », censée mutualiser les efforts pour sortir leurs peuples de l’ornière. Pourquoi pas ? Après tout, même les utopies ont droit à leur chance. Mais chacun sait qu’un édifice construit sur le sable mouvant de l’autoritarisme a toutes les chances de s’effondrer à la première secousse. Et le jour — inéluctable — où l’un des trois tombe, il entraînera les deux autres dans sa chute comme des dominos mal alignés.

Certes, la démocratie n’est pas un système parfait. C’est même un désordre organisé, un cirque permanent, un compromis sans fin. Mais c’est encore, pour citer Churchill, le moins mauvais des systèmes — tous les autres ayant été essayés. Ceux qui, au nom d’une prétendue incompatibilité culturelle, en appellent au retour des bottes, oublient que ce système, aussi fragile soit-il, a prouvé son efficacité là où les hommes en charge ont su se montrer loyaux, républicains, et honnêtes.

Un rapport de la Fondation Friedrich Ebert a recensé 130 coups d’État réussis sur 221 tentatives en Afrique. Une statistique affligeante. Mais plus affligeante encore est la question qu’elle soulève : combien de ces prises de pouvoir ont tenu leurs promesses ? Combien ont accouché d’un réel mieux-être, d’une prospérité partagée, d’une justice équitable ? Peut-on citer ne serait-ce qu’un seul exemple qui ait accouché de l’eldorado tant promis ?

Hélas, pas même un pour cent. Et c’est bien là toute la tragédie de cette répétition de l’histoire : la farce succède à la tragédie, avant que la tragédie ne reprenne ses droits.

Auteur

Firmin SOWANOU

Firmin SOWANOU

Directeur de Publication KAFOWEB

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