Le rapport 2025 de Reporters Sans Frontières révèle une nouvelle dégradation de la situation des médias dans le pays
Le Bénin, autrefois considéré comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, poursuit sa régression en matière de liberté de la presse. Selon le dernier rapport annuel de Reporters Sans Frontières (RSF) publié cette semaine, le pays perd encore plusieurs places dans le classement mondial 2025, confirmant une tendance inquiétante observée depuis l’arrivée au pouvoir du président Patrice Talon en 2016.
Un contrôle politique croissant sur les médias
D’après RSF, la dégradation du climat médiatique au Bénin s’explique principalement par l’emprise grandissante du pouvoir politique sur les médias. Le rapport souligne que “le pouvoir a une influence décisive sur la nomination des principaux responsables des médias d’État et de la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), organe de régulation.”
Cette mainmise s’illustre notamment par le contrôle exercé sur l’ancien Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (ORTB), contraint de relayer la communication du régime. Un comité éditorial composé de membres issus du gouvernement vérifie en amont les reportages du journal télévisé, ce qui constitue une entrave directe à l’indépendance éditoriale.
Des pressions économiques comme levier de contrôle
Le rapport met également en lumière les pressions économiques exercées sur les médias. “Le gouvernement utilise régulièrement son pouvoir sur l’attribution des contrats publicitaires pour en priver certains médias critiques”, note RSF. Cette pratique fragilise davantage un secteur médiatique déjà précaire, marqué par “l’absence de grandes entreprises de presse viables”.
Par ailleurs, de nombreux médias sont liés au pouvoir par des “contrats de partenariat” qui leur permettent d’être rémunérés pour couvrir les activités gouvernementales, mais qui comportent des “notes de cadrage” indiquant les angles à privilégier – une forme subtile de censure déguisée en opportunité économique.
Un arsenal juridique détourné contre les journalistes
Si la Constitution béninoise et le Code de l’information garantissent théoriquement la liberté de la presse, RSF observe que “le cadre légal est régulièrement contourné pour s’attaquer aux journalistes”. Depuis 2018, le Code du numérique est particulièrement utilisé pour poursuivre les journalistes exerçant en ligne, sous l’accusation de “diffusion par voie électronique de fausses informations affectant la tranquillité publique”.
Entre 2022 et 2023, au moins sept journalistes en reportage ont été arrêtés dans le nord-ouest du pays, une région confrontée à des menaces terroristes. Ces arrestations s’inscrivent dans un contexte où “les journalistes ont un accès limité aux données relatives à la situation sécuritaire, aux déplacés internes et aux contrats miniers.”
La HAAC : un régulateur au service du pouvoir?
L’organe de régulation, la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), censé garantir la liberté et l’indépendance des médias, est pointé du doigt dans le rapport. RSF note que cet organisme “va parfois jusqu’à suspendre les médias privés donnant la parole à l’opposition”, créant un climat d’autocensure dans les rédactions qui “s’abstiennent de critiquer ouvertement le gouvernement afin d’éviter des sanctions”.
Un paysage médiatique diversifié mais fragile
Malgré cette situation préoccupante, le paysage médiatique béninois reste diversifié avec environ 70 stations de radio, une quinzaine de chaînes de télévision, une centaine de journaux et de nombreux sites d’information en ligne. Au total, le pays compte environ 320 médias pour une population d’environ 13 millions d’habitants.
Toutefois, cette apparente diversité masque une réalité économique difficile. La plupart des médias ne sont pas financièrement viables et les journalistes vivent dans la précarité, ce qui les expose à la corruption et fragilise leur indépendance.
Une promesse de réforme en suspens
En janvier 2023, le président Patrice Talon avait confié à la HAAC la mission de proposer une réforme du secteur pour améliorer les conditions de vie des journalistes. Plus d’un an après, cette réforme “n’a toutefois toujours pas vu le jour”, note RSF, questionnant la volonté politique réelle d’améliorer la situation.
Le recul du Bénin( de 89ème à 92ème sur 180 ) dans le classement mondial de la liberté de la presse illustre l’érosion progressive d’un acquis démocratique fondamental dans ce pays qui était autrefois considéré comme un exemple à suivre en Afrique de l’Ouest. Cette tendance suscite l’inquiétude des défenseurs des droits humains et des organisations internationales qui appellent les autorités béninoises à garantir un environnement de travail sûr et libre pour les journalistes.