Du 4 au 6 septembre 2024, Pékin a accueilli le sommet du Forum de coopération sino-africaine (FOCAC), rassemblant une cinquantaine de dirigeants africains sous l’égide du président chinois Xi Jinping. Ce rendez-vous illustre une fois de plus l’importance stratégique des relations sino-africaines, marquées par des promesses d’investissements massifs, mais aussi par des critiques sur les effets réels de cette coopération. Lors de ce sommet, Xi Jinping a annoncé un soutien financier de 50 milliards de dollars sur trois ans, afin de renforcer les partenariats dans divers secteurs économiques du continent africain.
La Chine, partenaire incontournable de l’Afrique
La Chine s’est imposée comme le premier partenaire commercial de l’Afrique, avec des échanges atteignant 167,8 milliards de dollars au premier semestre 2024. En plus de soutenir les économies africaines, elle s’est investie dans la construction d’infrastructures essentielles : trains à grande vitesse, projets de télécommunication, énergies renouvelables, voitures électriques, etc. Ces domaines, souvent délaissés par les pays occidentaux, permettent à l’Afrique de moderniser son tissu économique et de renforcer son rôle sur la scène internationale.
Les analystes, cependant, nuancent cet optimisme. Valérie Niquet, spécialiste de l’Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, souligne que si ces investissements offrent des opportunités aux pays africains, ils comportent aussi des risques. La Chine, en contrepartie de ses investissements, bénéficie d’un accès privilégié aux ressources naturelles africaines, notamment le cuivre, l’or et le lithium. Ce modèle économique, parfois qualifié de « néo-colonial », favorise les exportations de matières premières tout en freinant le développement industriel local.
L’endettement, un mal nécessaire ?
Une partie des 50 milliards de dollars promis par la Chine lors de ce sommet prendra la forme de prêts, contribuant à creuser davantage l’endettement des pays africains envers leur principal créancier. Cette dépendance financière suscite des inquiétudes, notamment sur la capacité de ces États à rembourser ces dettes sans compromettre leur développement à long terme.
Selon Xavier Aurégan, maître de conférences à l’Université catholique de Lille, l’endettement des États africains est pourtant inévitable. « Dans le système capitaliste, l’endettement est un produit naturel, voire bénéfique. Les États africains ont besoin de s’endetter. Ils ne peuvent pas financer leurs projets seuls et doivent trouver des capitaux ailleurs. » En effet, les prêts accordés par les banques publiques chinoises ont permis de financer des infrastructures vitales pour la croissance du continent, comme des lignes ferroviaires ou des parcs solaires.
Cependant, pour des économistes comme Jean-Jacques Gaba, cette dynamique est problématique. « C’est le mythe de la modernisation. Ces investissements ne favorisent pas l’industrie locale, ne répondent pas à la croissance démographique et figent l’Afrique dans des impasses de développement. » Les infrastructures construites avec l’aide de la Chine bénéficient souvent à l’exploitation de ressources naturelles ou au commerce extérieur, sans réellement soutenir l’essor d’une industrie africaine durable.
Ralentissement chinois et diversification des partenariats
La coopération sino-africaine est aussi influencée par l’état de l’économie chinoise. Après des décennies de croissance soutenue, l’économie de la Chine montre des signes de ralentissement. En 2023, les prêts accordés à l’Afrique ont chuté, atteignant à peine un sixième des niveaux observés en 2016. « Après la Covid, les prêts se sont raréfiés. L’Afrique a eu des problèmes à emprunter. Si la manne financière se réduit, cela va poser problème », analyse Xavier Aurégan.
Cette diminution des financements pousse certains pays africains à chercher d’autres partenaires. Les États-Unis, notamment, se montrent de plus en plus intéressés par l’Afrique. En mai 2024, le président américain Joe Biden a reçu son homologue kényan, William Ruto, marquant une volonté de rééquilibrer les relations économiques sur le continent. Toutefois, la Chine reste largement en tête en termes de volumes d’investissements et de projets en cours.
Une coopération à deux vitesses
Tous les pays africains ne profitent pas de manière équitable des investissements chinois. Les grandes puissances économiques africaines comme l’Angola, l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Égypte ou l’Éthiopie bénéficient de la majeure partie de ces financements. Pour les plus petits pays, la stratégie chinoise peut paraître moins avantageuse, et certains analystes, comme Xavier Aurégan, estiment que ces États devraient s’unir pour mieux tirer parti de ces partenariats.
Cependant, cette union est difficile à réaliser. « C’est aux États africains de se réunir pour définir une stratégie commune qui limitera le poids de la Chine, mais je suis pessimiste », conclut Aurégan. En effet, malgré les promesses de développement, les relations sino-africaines restent déséquilibrées, avec un continent qui doit gérer l’opportunité de se développer sans tomber dans une dépendance excessive envers son partenaire asiatique.
L’Afrique face à ses choix stratégiques
Face à cette situation, les États africains sont placés devant des choix complexes. D’une part, la nécessité d’attirer des capitaux pour financer des projets vitaux ne fait aucun doute, et la Chine est un partenaire solide en la matière. D’autre part, la dépendance croissante à l’égard de Pékin et les conséquences de l’endettement à long terme inquiètent. Certains pays ont déjà eu des difficultés à rembourser leurs dettes envers la Chine, menant à des renégociations ou, dans certains cas, à la cession de la gestion d’infrastructures stratégiques à des entreprises chinoises, comme ce fut le cas au Sri Lanka avec le port d’Hambantota.
Le modèle économique proposé par la Chine repose souvent sur des prêts à taux faible ou nul, mais ces dettes s’accumulent, et leur gestion peut devenir difficile pour des économies fragiles. Pourtant, pour Valérie Niquet, la réduction des capacités d’investissement de la Chine, due à ses propres difficultés économiques, pourrait pousser certains États africains à diversifier leurs partenariats. « Si la Chine voit ses capacités diminuer, l’Afrique cherchera d’autres partenaires. Les États-Unis, l’Union européenne et même la Russie sont intéressés par le continent africain », souligne-t-elle.
Vers une coopération plus équilibrée ?
Un autre enjeu majeur pour les pays africains est de transformer cette manne financière en un levier de développement durable. La construction d’infrastructures est cruciale, mais l’Afrique doit également renforcer son tissu industriel local, développer des compétences techniques sur place et diversifier son économie pour répondre à sa propre croissance démographique. Cela nécessite des politiques publiques robustes et des partenariats intelligents.
Xavier Aurégan rappelle que pour y parvenir, les pays africains doivent se montrer plus stratégiques dans leurs négociations avec la Chine. « Il est crucial que les États africains définissent ensemble une stratégie claire pour limiter les déséquilibres dans leurs relations avec la Chine », insiste-t-il. Une telle démarche pourrait non seulement réduire la dépendance financière à l’égard de Pékin, mais aussi encourager des projets plus bénéfiques pour le développement local à long terme.
La Chine, un modèle à repenser ?
Pour certains experts, les relations sino-africaines actuelles pourraient être repensées en profondeur. La critique de Valérie Niquet sur une forme de « néo-colonialisme » souligne les limites d’une coopération basée essentiellement sur l’exploitation des ressources naturelles. En exportant des matières premières et en important des produits finis chinois, l’Afrique manque l’occasion de créer de la valeur ajoutée localement, ce qui freine le développement d’une industrie nationale capable de soutenir une croissance durable.
La question de l’endettement est également au cœur des débats. Si l’endettement est parfois nécessaire pour soutenir des projets d’infrastructure de grande envergure, il doit être encadré par des politiques financières rigoureuses. Des initiatives comme celles du G20 pour alléger la dette des pays les plus endettés, ou les efforts de diversification des partenaires, sont des pistes à explorer pour que l’Afrique ne tombe pas dans un piège de la dette.
Le sommet Chine-Afrique 2024 reflète la relation complexe entre la Chine et le continent africain. Bien que la Chine reste un partenaire indispensable pour de nombreux pays africains, les enjeux d’endettement et de dépendance sont réels. Si les investissements chinois ont permis des avancées notables, notamment en termes d’infrastructures, le défi pour les pays africains est désormais de transformer cette opportunité en un véritable levier de développement autonome.
Pour ce faire, une diversification des partenaires économiques et une plus grande attention à la viabilité des projets sont nécessaires. Les États africains doivent également renforcer leur coopération interne pour maximiser les bénéfices de leurs relations avec la Chine tout en réduisant les risques associés à un modèle de développement trop dépendant des investissements extérieurs.
L’avenir des relations sino-africaines dépendra donc de la capacité des dirigeants africains à s’organiser, à négocier habilement et à orienter les financements étrangers vers des projets qui soutiendront le développement durable de leurs économies.