C’est un pan méconnu mais lourd de sens de l’histoire française que le gouvernement s’apprête à effacer officiellement. Le Premier ministre François Bayrou a annoncé, ce mardi 13 mai à l’Assemblée nationale, la volonté de présenter une loi visant à abroger formellement le Code noir — un texte juridique emblématique de l’esclavage instauré sous l’Ancien Régime, et qui, étonnamment, n’a jamais été abrogé malgré l’abolition de l’esclavage en 1848.
Interpellé lors de la séance de questions au gouvernement par le député Laurent Panifous, président du groupe Liot, François Bayrou a reconnu avoir lui-même découvert cette persistance juridique : « Je découvre cette réalité que j’ignorais absolument », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Si le Code noir n’a pas été aboli en 1848, il faut qu’il le soit. Il faut que nous ayons la volonté de réconcilier la République avec elle-même. »
Qu’est-ce que le Code noir ?
Rédigé à la demande de Louis XIV et promulgué par l’édit de mars 1685, le Code noir est un recueil de 60 articles régissant la vie des esclaves noirs dans les colonies françaises, notamment dans les Antilles, la Guyane et l’île Bourbon (aujourd’hui La Réunion). Ce texte a pour but, à l’époque, d’organiser juridiquement l’esclavage, en définissant les droits — et surtout les nombreux devoirs et punitions — imposés aux esclaves, ainsi que les obligations des maîtres.
Parmi les dispositions les plus inhumaines du Code noir, on retrouve :
- L’interdiction pour les esclaves d’exercer une religion autre que le catholicisme.
- La réduction de l’esclave au statut de “bien meuble” pouvant être vendu, donné ou transmis.
- La possibilité pour le maître de punir physiquement les esclaves, y compris par des châtiments extrêmement violents : coups de fouet, marquage au fer rouge, mutilations (coupure d’oreilles, de jarrets), voire la peine de mort dans certains cas.
- L’interdiction du mariage ou des relations entre colons blancs et personnes esclavisées.
Ce code a été appliqué jusqu’au XIXe siècle, puis renforcé ou adapté dans d’autres colonies. Il a été brièvement supprimé pendant la Révolution française (abolition de l’esclavage en 1794), avant d’être rétabli par Napoléon Bonaparte en 1802. Ce n’est qu’en 1848, sous la Deuxième République, que l’esclavage est définitivement aboli dans les colonies françaises — mais sans qu’une abrogation formelle du Code noir n’ait jamais été prononcée.
Une démarche symbolique mais puissante
La révélation de cette survivance légale a suscité l’indignation chez plusieurs élus. « Le Code noir, c’est l’institutionnalisation de la barbarie. Il est temps que la République se lave de cette ignominie », a plaidé Laurent Panifous, qui a salué l’engagement du Premier ministre à réparer cette omission.
Pour François Bayrou, cette abrogation tardive, bien que symbolique, constitue un acte de justice mémorielle : « Le fait que le Code noir ne soit pas abrogé alors que l’esclavage est reconnu comme crime contre l’humanité par la République est une contradiction insupportable. »
Un texte de loi sera donc prochainement présenté devant le Parlement. Il marquera, enfin, la fin officielle d’un texte qui demeure l’un des plus sombres témoins de la domination coloniale française.
Avec cette annonce, la France amorce un geste fort pour assumer son passé, et affirmer avec clarté que les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité ne souffrent plus aucune ambiguïté.